Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Quelque part en Chine
12 avril 2011

Pêle-mêle.

Deuxième jour de stage. Il va falloir résoudre cet épisode léthargique qui m’assomme entre 15h et 17h. Mon stage est bien. J’ai comme voisin de bureau l’informaticien VIE qui me fait penser à Barney Stinson. C’est une Kalachnikov à vannes. Il y a deux autres eurasiens au bureau, deux VIE qui s’appellent tous les deux A... et qui ont, l'un une mère hong-kongaise et un père français, l'autre c'est l'inverse. Je n’ai aucune éclaircie quant à mon avenir professionnel. S’implanter en Chine n’est pas si simple d’après M..., mon maître de stage, et je sais qu’il a raison, désormais il faut justifier de deux ans d’expérience professionnelle en France pour pouvoir travailler en Chine, d’ici peu l’immigration sera ultra-contrôlée et nous, pauvres cocoricos, serons reconduits en charters dans nos chaumières comme de vulgaires basanés.
J’aime presque être habillée comme un pingouin même si ça donne chaud et ça gratte, je frétillerais sans doute de fierté si l’on me donnait un badge. Adieu fluo et paillettes, bonjour tailleur gris rat. Ce que je fais est presque intéressant. Rendez-vous dans trois mois.

Je suis toujours à l’hostel, en sortant du bureau j’ai visité une chambre sordide. La résidence n’était pas vilaine mais c’était chez un couple de chinois avec enfant unique, l’appartement sentait le chou bouilli, une odeur tenace qui m’a soulevé le cœur dès mon arrivée. L’annonce était en anglais, mais le type ne parlait que chinois - et un peu d’espagnol. Salle de bains immonde, armoire dans le salon, et le gars essayait de me convaincre de me décider tout de suite parce que j’ai polité comme quoi j’allais réfléchir. Tu ne vas pas habiter avec des étrangers, dans une coloc nombreuse, tu es jolie, tu vas tomber sur des pervers, il me disait. Mon malaise allait croissant. Il m’a raccompagné jusqu’au bus - pas de métro alentour - et je ne me suis sentie respirer qu’une fois assise, les portes refermées. J’aurais dû appeler S... pour qu’il m’accompagne comme il me l’avait proposé. Du coup je suis descendue deux arrêts plus tôt et je me suis acheté un million de petites merdes pour compenser je ne sais trop quoi. Des boucles d’oreilles, des masques anti-pollution, des autocollants, un porte-cartes, des culottes, un coupe-ongles, un gloss, des pins communistes, des bonbons au citron… Je suis une sale acheteuse compulsive en fait. J’ai tenu bon pour la tirelire-boîte à piles avec un chat qui sort une patte pour faire glisser la pièce à l’intérieur. J’ai commandé des lentilles violettes à ma vue. Je fais de ces trucs absurdes.

J’aime mon hostel, j’ai l’impression de rentrer à la maison le soir. Aujourd’hui c’était soirée DVD. C’est comme une coloc de 5 étages remplis de chambres avec des gens qui vont et qui viennent. Je sais que je les connais depuis moins d’une semaine mais j’ai déjà de vrais amis ici : C..., R... S.... - D... est parti hier soir mais je ne l’ai pas vu car trop occupée à être épuisée et à errer dans les rues à la recherche d’un salon de massage de pieds, au bord de la crise de nerfs.

La fille dans ma chambre depuis hier, T..., une russe, est vraiment cool, et elle a un accent australo-british de la mort qui tue.
Il faut que j’appelle mon Zhongguo baba, mon papa chinois. Je suis une petite ingrate de Faguo nuer, fille chinoise.

J’ai mal au genou, je ne sais pourquoi, et j’ai toujours des bleus immondes sur les jambes, du genre de ceux qui apparaissent les lendemains de cuite juste pour te rappeler que tu te comportes comme un déchet inconscient qui ne l’emportera pas au paradis. Ma dernière cuite était dimanche et elle me paraît dater de l’an dernier. Les journées durent des mois. Il se passe tellement de choses. Je pense tellement de trucs. Je ne dors pas. J’ai mes règles. Je viens de regarder Taxi Driver avec l’ordinateur sur le ventre pour faire passer la douleur. Quel film étrange.

Il y a une rave party de bactéries organisée dans mes intestins, le matin les odeurs de métro déchaînent tout le monde là-dedans. Je ne devrais pas acheter des brochettes d’ « agneau » à un type qui fait la cuisine sur sa mobylette. S... dit que c’est probablement du chat, et il ne blague qu’à moitié. Je gobe des pilules anti-chiasse en misant sur mon estomac hybride.

J’éprouve des centaines d’émotions différentes dans la journée et c’est ce qui me donne la sensation d’être ici depuis des mois. Ce ne sont pas des sentiments extrêmes, plutôt des nuances profondes. Je n’ai pas le temps de m’ennuyer, cela est impossible. Mais je prends du recul, je réfléchis, je m’étonne ; et je fatigue. Je suis un peu désorientée mais je vois les choses se décanter lentement autour. Rien n’est grave.

Les chinois ne sont ni meilleurs ni pires que n’importe quel crétin sur cette terre. Ils sont différents de nous, c’est tout. Nous voulons tous être normaux, mais nous souhaitons tous nous démarquer. En France on dit que j’ai du courage de partir en Chine. En vérité il faut du courage pour rester chez soi. Ici je ne suis rien, juste une xiao laowai (petite étrangère) qui court dans le métro, qui comprend si elle a envie de comprendre, qui achète si elle a envie d’acheter. Qu’une opportuniste de plus, une jeune dépravée assoiffée d’exotisme bon marché parmi tant d’autres. Qui profite des soldes avant liquidation. Allez allez, y en aura pas pour tout le monde messieurs dames.

Il n’y a aucun pays au monde que je pourrais aimer plus que la Chine. Elle est mon paradis, mon enfer, mon eldorado, elle est la réponse à toutes les questions que je ne peux pas me poser ; elle est là, monstrueuse et sublime, elle m’accueille sur sa langue moelleuse entre ses grandes dents jaunes et pointues : assieds-toi confortablement là chérie, d’ici tu auras une belle vue.
Je n’ai jamais été optimiste quant à l’avenir de l’humanité, je pense sincèrement que c’est se voiler la face de croire que nos petits-enfants mourront de vieillesse. Ce n’est pas pour autant que je vais ruminer : le cynisme est le lait pour faire passer la pilule. La Chine n’est rien moins que l’enrobage de cire sucrée.

Publicité
Publicité
Commentaires
Quelque part en Chine
Publicité
Publicité